Ricou
Un orage bleu, couleur d’épée, entre dans la vallée. Le fleuve, à son plus bas, coule à peine sous un pont bien arqué, qui sonne creux dès les premiers coups de foudre. Des poissons de rivière, d’espèces résistantes non disparues, oscillent ensemble, ils cherchent le contre-courant, qui varie, et l’oxygène. On pourrait les attraper à la main, par les ouïes, comme dans un livre d’aventures. Ou, sinon, d’après la technique de cet homme (le contenu de son visage en moi s’efface), qui amadouait les vipères avec un poème. Le secret était dans les strophes. Le venin tiré, les serpents, essoufflés, ne fuyaient pas aussitôt.
L’eau, infusée d’herbes alcalines, est une joaillerie, à quoi s’ajoutent des libellules versicolores, des mouches opalines et des éphémères de moins d’un gramme engluées par la pluie dans des gouttes comestibles que les oiseaux attrapent au vol. Quelqu’un, assis à son coin de pêche sous le parapluie d’un saule, ne bouge plus, magnétisé peut-être.
Une maison riveraine, inoccupée, verdit. Sa barque, conçue pour couler plusieurs fois, divague à bout de chaîne si l’on approche. Le balcon sur pilotis étonne et chacun se rappelle qu’ici vécut la dame du pont, gardienne des jours heureux du fleuve, célèbre pour ses mélopées, faites avec la gorge, un peu enrouées, toutes désaccordées. Elle apparaît encore, sur un cliché d’amateur qui s’estompe, écoutée par des cygnes interdits, grosses meringues posées sur l’eau.