Estuaire
C’est un dimanche de vent sans boussole, de ciel bleu glace que sillonnent des espèces inconnues d’oiseaux rauques et trop longs qui, cacophoniques, vont chaque jour d’un bout du monde à l’autre. Des remous, tout en lassos, rôdent dans la baie autour du débit gras du fleuve. Une odeur familière, d’ammoniaque et d’eaux saumâtres, brassée par la vague, écœure. Les gens d’ici, nés sous le zéro du marégraphe, naviguent à contre-courant, d’une grève à celle d’en face. Artistes de bord de mer, ils peignent à la proue de leurs bateaux des limandes pin-up ; paysans capitaines, ils s’amusent à affoler, à la corne de brume, les poneys de dune, vanille et caramel, qui courent, trapus, chevelus, ventre à terre, se cacher au milieu des moutons noirs. Quelques promeneurs, assis dans les automobiles, regardent au loin à la paire de jumelles, où le véritable océan brasille : ils pratiquent peut-être, depuis toujours, le jeu d’apercevoir l’Amérique.