Âmes sensibles
Parfois, je surprends, au cœur de la forêt dense, loin de la civilisation des moteurs, un genre de créature que l’on dit de mauvaise humeur, âme sensible ou défectueuse que le monde déçoit et qui ne parle en tête à tête qu’avec elle-même. Une, de taille moyenne, suivie par des oiseaux sonores, qui la trahissent, marche à pas vifs, sans trébucher, courbée au-dessus d’un livre qui, peut-être, libère un gaz de consolation, ou hypnotise. Une autre, que tout apeure, traverse perpendiculairement les bois, dans l’attitude d’un cerf en fuite et l’on perd sa trace dans une région de chênes éviscérés par les orages et de grottes froides énigmatiques, empuanties par les bêtes. Il y a, aussi, annoncé par le hoquet d’un solide bâton de marche et de combat, ce promeneur hostile qu’un chat de couleur, très griffu, aux yeux siamois, accompagne. Et l’on observe, à la saison chaude, un homme qui, sans cesse, au bord d’un lac profond que les arbres séculaires enténèbrent, balance, hésite et temporise. Son empreinte dans la vase s’apparente, bien sûr, à celle d’un animal âgé.